En direct de la prison, il se filme et dialogue avec des internautes

« Pourquoi t’as un poster de Mickey sur le mur ? Tu aimes les Miel Pops ? Tu sors quand ? ». Driss, 25 ans, pipe à chicha à la main et bonnet rabattu sur les yeux, répond posément, avec le sourire, à toutes les questions.

Dimanche 24 janvier, ce détenu de la maison d’arrêt de Luynes, près d’Aix-en-Provence, a réalisé une grande première (à notre connaissance) : une séance de questions – réponses, filmée en direct depuis sa cellule. Sur Twitter s’affiche son pseudo @lissoudrem (introuvable depuis), pour ses fans d’un jour, il dit se prénommer « Driss ».

Un téléphone, la 3G et c’est parti pour le direct

Son équipement ? Son smartphone, une connexion 3G, et l’application Periscope – trois choses bien évidemment illégales derrière les barreaux. « Si les gardiens te voient avec, ils te mettent un rapport », glisse le détenu.

Periscope permet non seulement d’envoyer des images en direct, mais aussi de dialoguer avec les spectateurs, qui envoient des messages sous forme de tweets (Periscope a été conçu par Twitter).

Le résultat ? Une vidéo d’un nouveau genre, quasi un mini-documentaire en direct. Le film dure 34 minutes, il est titré : « Sa fume en cellule chicha oklm ».

Sur fond de hip-hop poussé plein tube et de match de l’OM retransmis à la télé, on apprend que Driss (selon ses dires) purge une peine de 9 ans pour le braquage à main armée d’une bijouterie. Il a déjà effectué quatre ans derrière les barreaux.  « Je sors cet été, répond-il aux nombreuses questions sur le sujet. La prison, c’est dur, mais la sortie c’est sûr ».

Les (souvent jeunes) intervieweurs de Driss s’étonnent du mode de vie de Driss : la chambre est exiguë, certes. Mais il fume la chicha, dispose d’un téléphone, de Canal +, d’une Playstation, et les étagères sont chargées de boîtes de conserves, gâteaux, céréales.

Chez moi, je n’ai pas autant de gâteaux. T’as même des Miel Pops !”, réagit une ado, “si c’est ça la prison, je veux bien y aller !”. Driss tempère “C’est petit, quand même”.

Mais le détenu confirme que là-bas, il est tranquille, « oklm » (« au calme »). Il occupe sa chambre avec un ami – ils seraient tombés ensemble lors du braquage « manqué ». Driss est fier de sa cellule, sa « petite chambre » :  « On l’a faite nous-mêmes », et assume les posters et la couverture de lit avec Mickey, « mignon ». « Cela me rappelle mon enfance », glisse-t-il dans une autre vidéo.

Entre une bouffée de chicha et un pas de danse sur un morceau de Sch (un rappeur qui monte) –  Driss se décrit comme un « Algérien de Marseille », qui passe son temps à faire du sport en prison  (« Regardez, il est taillé en V », note un spectateur sur Twitter).

Le prisonnier ne touche « pas trop à la Playstation », et évoque sa passion pour le foot. Au début de la vidéo, le détenu saute de joie lorque l’OM marque contre les Lyonnais… mais porte un t-shirt de l’OL. Son colocataire porte lui un maillot du PSG : « Ici, on supporte un peu tous les clubs ».

« Ajoute-moi sur Snapchat pour voir mon visage »

Un curieux demande : « Tu regrettes pas tes conneries » ? « Non, je ne regrette rien, assure Driss. C’est le mektoub (‘C’était écrit’). C’est comme ça ». Mais, plus loin, il nuance : « C’était une connerie de jeunesse ».

Toujours poli et souriant, le détenu remercie ceux qui lui souhaitent « bon courage », rappelle à l’ordre les commentateurs employant des mots trop vulgaires – « Tu parles mal », et donne à qui veut son pseudo sur l’application de messagerie Snapchat. « Je veux bien te montrer mon visage, mais uniquement sur Snapchat. Ajoute-moi, il n’y a pas de souci ».

Les questions affluent, les petits coeurs aussi, à droite de l’écran : les « likes » de ceux qui suivent la vidéo. Driss a déjà engrangé 179 followers et 11.000 likes sur Periscope, tout de même.

Le ton se fait parfois enjôleur avec ses jeunes interlocutrices – « Ce que j’ai braqué ? Ton coeur » – et l’on se dit que le dialogue en direct avec d’autres détenus, moins bien intentionnés, et des ados pourrait se révéler une évolution inquiétante.

Sur Twitter : « Tiens, moi aussi, je suis en prison ! »

On découvre donc, qu’en plus de son compte Twitter et Periscope, que l’hyperconnecté Driss a aussi un compte Instagram (en mode privé) et Snapchat, bien sûr. Ce n’est pas le seul à être branché réseaux sociaux. L’un des commentateurs s’écrie : « Pas possible, tu es au bâtiment A, j’étais au B ! ». Un autre, solidaire, via Twitter : « Moi je suis en prison en Belgique ! ». Surréaliste.

Ce n’est pas la première fois que des vidéos sont capturées depuis la prison par des détenus. Certaines ont fini sur YouTube, d’autres à la télé (une vidéo d’Amédy Coulibaly lors de son passage en prison été diffusée par « Envoyé spécial »). Les outils évoluent, les détenus suivent. L’administration, moins. « Ici on est sur des réseaux sécurisés. Nous n’avons pas accès à Twitter et Periscope », bredouille la direction interrégionale des services pénitentiaires de la région.

L’administration n’en est qu’au début de ses peines. Un détenu américain, condamné pour meurtre, a choqué la famille de la victime en réalisant une vidéo sur Periscope, réunissant 3.000 spectateurs, la semaine dernière.

(source : nouvelobs.com)